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Chapochnikof, le joli campanule de notre entrée et l’ombre formée par l’enclos et les arbres sur le petit chemin du jardin, que, le lendemain matin, j’ai de la peine à me réveiller à dix heures.

Sans les professeurs, qui continuaient à me donner des leçons ; sans Saint-Jérôme, qui piquait de temps à autre mon amour-propre ; avant tout, sans le désir d’avoir l’air capable aux yeux de mon ami Nékhlioudof, — autrement dit, de passer un bon examen, chose que Nékhlioudof considérait comme très importante, — sans tout cela, le printemps et la liberté auraient été cause que j’aurais oublié tout ce que je savais et que je n’aurais jamais été reçu.


LV

JE SUIS GRAND


Le 16 avril, j’entrai pour la première fois, chaperonné par Saint-Jérôme, dans la grande salle de l’Université. Le 8 mai, en revenant du dernier examen, je trouvai à la maison le coupeur de Rosanof. Il était déjà venu une fois m’essayer une tunique en drap noir lustré et brillant, mais ce n’était alors que faufilé et il avait corrigé les revers à la craie. Aujourd’hui il me rapportait mon uniforme entièrement terminé, ses beaux boutons d’or enveloppés dans du papier.

Je le revêtis et le trouvai magnifique, bien que Saint-Jérôme m’assurât que la tunique faisait des plis dans le dos. Je descendis chez Volodia, sans pouvoir empêcher un sourire suffisant de s’étaler sur ma figure. Je sentais les regards des domestiques, qui me dévoraient des yeux de l’antichambre et du corridor, mais je faisais semblant de ne pas m’en apercevoir. Gavrilo, le maître d’hôtel, courut après moi dans la salle, me fit son compliment et me remit