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de fois t’es-tu élevée hardiment contre l’injustice, combien de fois as-tu accusé le passé dans ta colère, me montrant le point brillant formé par le présent et me forçant à l’aimer, me promettant pour l’avenir vertu et bonheur ! Ô voix bénie ! cesserai-je jamais de t’entendre ?


XLIX

NOTRE CERCLE DE FAMILLE


Papa était rarement à la maison ce printemps. En revanche, quand par hasard il ne sortait pas, il était d’une gaieté remarquable. Il tapotait sur le piano ses airs favoris, faisait ses petits yeux tendres et inventait sur nous tous, y compris Mimi, des plaisanteries en ce genre : le prince héritier de Géorgie avait aperçu Mimi à la promenade et il en était devenu tellement amoureux, qu’il avait adressé une demande de divorce au Synode ; j’étais nommé secrétaire de notre ambassadeur à Vienne, etc. Papa nous annonçait ces nouvelles avec le plus grand sérieux. Il faisait peur à Catherine avec des araignées. Il était très aimable pour nos amis, Doubkof et Nékhlioudof. Il ne cessait de raconter à tout le monde ses projets pour l’année suivante. Ses projets changeaient tous les jours et se contrariaient les uns les autres, mais ils étaient si séduisants, que nous les écoutions attentivement et que Lioubotchka, ouvrant de grands yeux, regardait fixement les lèvres de papa, de peur de perdre un mot. Tantôt il annonçait l’intention de nous laisser à Moscou, à l’Université, et d’aller passer deux ans en Italie avec Lioubotchka ; tantôt d’acheter une propriété en Crimée, au bord de la mer Noire, et de s’y rendre tous les étés ; tantôt de nous emmener tous à Pétersbourg, etc.

Ce redoublement de gaieté à part ; il s’était opéré chez