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idées à la vie : j’avais la ferme intention de ne plus jamais en modifier aucune.

C’est à ce moment que je fais commencer ma Jeunesse.

J’allais avoir seize ans. Je prenais toujours des leçons ; Saint-Jérôme continuait à surveiller mon éducation et je me préparais, bien à contre-cœur, à entrer à l’Université. En dehors des leçons, mes occupations consistaient en rêveries solitaires et décousues ; en exercices de gymnastique, afin de devenir l’homme le plus fort de toute la terre ; en flâneries sans but, sans penser à rien de précis, dans toutes les pièces de la maison, plus spécialement dans le corridor des chambres des servantes ; enfin, en séances devant mon miroir, que je ne quittais du reste jamais sans un sentiment de profond découragement et même de dégoût.

J’étais persuadé que non seulement j’étais laid, mais que je n’avais pas les consolations, usitées en pareil cas. Je ne pouvais pas me dire que j’avais une figure expressive, ou spirituelle, ou noble. Rien d’expressif : de gros traits communs et laids, de petits yeux gris beaucoup plutôt bêtes que spirituels, surtout quand je me regardais dans la glace. Encore moins quelque chose de mâle : bien que je fusse assez grand et très fort pour mon âge, tous les traits de mon visage étaient mollasses, sans contours arrêtés. Rien de noble non plus : au contraire, je ressemblais tout à fait à un moujik, et j’avais des pieds, des mains, d’une grandeur ! À l’époque dont je parle, cela me paraissait une grande honte.


XLVII

LE PRINTEMPS


L’année où j’entrai à l’Université, Pâques était à la fin d’avril, en sorte que les examens se trouvaient dans la