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longtemps que nous n’avons causé. J’en ai pris l’habitude et il me semble qu’il me manque quelque chose. »

Mon dépit s’évanouit et Dmitri me parut de nouveau le meilleur et le plus aimable des hommes.

« Je suis sûr, dis-je, que vous savez pourquoi je suis parti ?

— Peut-être, répliqua-t-il en s’asseyant près de moi ; mais si j’ai deviné pourquoi, je ne peux pas le dire. Vous, vous le pouvez.

— Je vais le dire : je suis parti parce que je vous en voulais… ou plutôt, j’étais fâché. Tenez, en deux mots, j’ai toujours peur que vous ne me méprisiez à cause de ma jeunesse.

— Savez-vous pourquoi nous nous entendons si bien ? dit-il en répondant à ma confession par un regard bon et intelligent ; pourquoi je vous aime plus que des gens que je connais davantage et avec qui j’ai plus de points de contact ? Je viens de décider pourquoi. Vous avez une qualité qui est rare et précieuse : la sincérité.

— Oui ; je dis toujours juste la chose dont j’ai honte ; mais je ne la dis qu’aux gens dont je suis sûr.

— Oui, mais pour être sûr d’un homme, il faut être extrêmement lié avec lui, et nous ne le sommes pas encore. Rappelez-vous, Nicolas, ce que nous avons dit de l’amitié : pour être de vrais amis, il faut être sûr l’un de l’autre.

— Il faut être sûr que l’un ne répétera pas ce que l’autre aura dit. Et voyez, les choses importantes et intéressantes sont justement celles que nous ne nous dirions pour rien au monde. Et quelles vilaines pensées ! des pensées si basses que, si nous avions su qu’il faudrait nous les avouer mutuellement, jamais elles n’auraient osé nous entrer dans la tête.

— Savez-vous l’idée qui m’est venue, Nicolas ? reprit-il en se levant et en se frottant les mains avec un sourire. Faisons cela et vous verrez combien cela nous sera utile à tous les deux : donnons-nous notre parole de tout nous