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dans une joie intense quand un homme lui parle, et déclare qu’elle épousera certainement un hussard ; Catherine prétend que tous les hommes lui font horreur, qu’elle ne se mariera jamais, et elle n’est plus la même, elle a l’air d’avoir peur quand un homme lui parle. Lioubotchka est dans une indignation perpétuelle contre Mimi à cause de ses corsets, qui la serrent et « l’empêchent de respirer », et elle aime assez à manger ; Catherine met son doigt sous la pointe de sa robe, pour nous montrer qu’elle est trop large, et mange à peine. Lioubotchka aime à dessiner la tête ; Catherine ne dessine que des fleurs et des papillons. Lioubotchka joue avec beaucoup de netteté les concertos de Field et quelques sonates de Beethoven ; Catherine joue des valses et des variations, n’a pas une mesure carrée, tape, met constamment la pédale et ne commence jamais à jouer sans avoir fait avec sentiment deux ou trois arpèges.

Avec tout cela, dans mes idées d’alors, Catherine ressemblait plus à une grande, et me plaisait beaucoup plus à cause de cela.


XLI

PAPA


Papa est remarquablement gai depuis l’entrée de Volodia à l’Université, et dîne plus souvent que d’habitude avec grand’mère ; je sais par Kolia que sa gaieté provient de ce qu’il a beaucoup gagné au jeu dans les derniers temps. C’est au point que, le soir, avant d’aller au cercle, il lui arrive de s’asseoir au piano, de nous faire ranger autour de lui et de se mettre à chanter des airs tziganes en frappant du pied, à certains passages, avec ses souliers plats (il ne pouvait pas souffrir les talons et n’en portait jamais).