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de circonstance, solennelle et joyeuse, tenant une bouteille de Champagne enveloppée dans une serviette. Grand’mère boit du Champagne, pour la première fois depuis la mort de maman. Elle vide toute une coupe à la santé de Volodia et pleure de nouveau de joie en le regardant.

À présent, Volodia sort seul, dans un équipage à lui. Il reçoit chez lui, ses amis à lui, il fume, va au bal et même, un jour, je l’ai vu de mes yeux boire deux bouteilles de Champagne, dans sa chambre, avec ses amis. À chaque verre, ils portaient la santé de certaines personnes inconnues et ils se disputèrent à qui aurait le fond de la bouteille. Volodia dîne pourtant régulièrement à la maison et, après le dîner, il se tient comme autrefois dans le divan, où il a perpétuellement des conversations mystérieuses avec Catherine. Autant que je puis entendre, — car je n’ai point de part à leurs entretiens, — ils parlent uniquement de héros de romans, de jalousie, d’amour. Il m’est absolument impossible de comprendre ce qui peut les intéresser dans ces conversations, pourquoi ils sourient d’un air fin et se disputent avec vivacité.

En général, je remarque qu’il existe entre Catherine et Volodia, en dehors de l’amitié qui est naturelle entre camarades d’enfance, certaines relations bizarres, qui les éloignent de nous et créent entre eux je ne sais quel lien mystérieux.


XL

CATHERINE ET LIOUBOTCHKA


Catherine a seize ans. Elle a grandi. Les formes anguleuses, la gaucherie et la timidité de l’âge ingrat ont fait place à la grâce et à la fraîcheur de la fleur qui vient d’éclore. Et pourtant elle n’a pas changé. Toujours les mêmes yeux bleu clair et le même regard souriant ; toujours