temps heureux où je connus de nouveau les sentiments vrais et tendres, où la noble amitié illumina de sa brillante lumière la fin de ma croissance et marqua le début d’une nouvelle période de ma jeunesse, période exquise, poétique et charmante.
Je ne vais pas suivre ici, heure par heure, mes souvenirs. Je me contenterai d’effleurer les principaux, depuis l’époque où je suis parvenu dans mon récit, jusqu’à ma liaison avec l’homme extraordinaire qui a exercé une influence décisive et bienfaisante sur mon caractère et mes tendances.
Volodia va entrer au premier jour à l’Université. Il prend des leçons à part, je l’écoute avec envie, et avec un respect involontaire, donner de petits coups sur le tableau noir avec sa craie, en parlant de fonctions, de sinus, de coordonnées et autres mots du même genre, qui me paraissent autant de mystères insondables. Un dimanche, après le dîner, tous les maîtres et deux professeurs se réunissent dans la chambre de grand’mère, en présence de papa et de quelques invités. Ils font une répétition de l’examen de l’Université, et Volodia, à la grande joie de grand’mère, fait preuve de connaissances extraordinaires. On me pose aussi quelques questions, mais je réponds très mal. Les professeurs font des efforts visibles pour dissimuler mon ignorance devant grand’mère, et cela me déconcerte encore plus. Du reste, on fait peu attention à moi : je n’ai que quinze ans, par conséquent j’ai encore un an pour me préparer. Volodia ne descend plus que pour le dîner. Il passe toutes ses journées et même ses soirées en haut, à travailler. On ne l’y force pas. C’est volontairement. Il a énormément d’amour-propre et ne veut pas d’un examen médiocre ; il veut être brillant.
Le jour est arrivé. Volodia met son habit bleu à boutons de bronze, ses bottes vernies et sa montre d’or. Le phaéton de papa vient se ranger devant le perron, Kolia défait le tablier, Volodia et Saint-Jérôme montent et s’en vont en