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de mes angoisses. Coco ! répéta-t-elle d’une voix adoucie et presque tendre. Comment, c’est toi ?…

— Grand’mère, pour rien au monde je ne lui demanderai pardon… »

Je m’interrompis subitement, sentant que, si j’ajoutais un seul mot, je ne pourrais pas retenir les larmes qui m’étouffaient.

« Je te l’ordonne, je t’en prie. Qu’est-ce que tu as ?

— Je… je… ne… veux pas…, je ne peux pas… »

Les sanglots accumulés dans ma poitrine s’échappèrent, et l’orage creva.

« C’est ainsi que vous obéissez à votre seconde mère ? s’écria Saint-Jérôme d’une voix tragique. C’est ainsi que vous reconnaissez ses bontés ? À genoux !

— Mon Dieu, si elle voyait cela ! dit grand’mère en se détournant de moi et en essuyant ses larmes ; si elle voyait… ! Il vaut mieux qu’elle n’y soit plus. Elle ne supporterait pas ce chagrin-là, elle ne le supporterait pas. »

Et grand’mère pleurait de plus en plus fort. Je pleurais aussi ; mais il ne me venait pas à l’idée de demander pardon.

« Tranquillisez-vous, au nom du ciel ! madame la comtesse, » dit Saint-Jérôme.

Mais grand’mère ne l’écoutait plus. Elle cacha son visage dans ses mains et ses sanglots se transformèrent promptement en hoquets et en attaque de nerfs. Mimi et Gacha se précipitèrent dans la chambre avec des figures effrayées, il se répandit dans la chambre une odeur de sels et toute la maison se remplit soudain de bruits de pas et de chuchotements.

« Jouissez de votre œuvre, me dit Saint-Jérôme en me reconduisant en haut.

— Seigneur ! pensais-je, qu’ai-je fait ? Quel affreux criminel je suis ! »

À peine Saint-Jérôme fut-il redescendu après m’avoir dit d’aller dans ma chambre, que je me précipitai, sans