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gardé du temps de mon grand-père le nom de salle des Officiers et nous entrâmes dans le cabinet de papa.


III

PAPA


Il était debout auprès de son bureau, désignant du geste des papiers et de petits tas d’argent et expliquant quelque chose, d’un air échauffé, à notre intendant Iacof Mikhaïlof. Celui-ci, debout à sa place ordinaire, entre la porte et le baromètre, avait mis ses mains derrière son dos et agitait les doigts en tous sens avec une rapidité extrême.

Plus papa s’échauffait, plus les doigts remuaient vite, et, quand papa se taisait, les doigts s’arrêtaient ; mais, dès que Iacof se mettait lui-même à parler, c’était à ses mains des mouvements désordonnés et des soubresauts extraordinaires. Je crois qu’on aurait pu deviner ses pensées en regardant ses doigts. Quant à son visage, il était impassible. On y lisait la conscience de sa valeur, jointe à cette nuance de soumission qui a l’air de dire : « C’est moi qui ai raison ; du reste, je ferai ce que vous voudrez. »

En nous apercevant, papa se contenta de dire : « Dans un instant…, je viens tout de suite ; » et il nous fit signe avec la tête de fermer la porte.

« Bon Dieu ! qu’est-ce que tu as aujourd’hui, Iacof ? continua-t-il. Tu recevras 1000 roubles du moulin, 8000 pour les hypothèques ; tu vendras pour 3000 roubles de foin. Oui ou non, cela te fera-t-il 12 000 roubles ?

— Oui, certainement, » répondit Iacof.

À l’agitation de ses doigts, je vis qu’il allait faire des objections, mais papa ne lui en laissa pas le temps.