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à la classe, où l’on m’enferma de nouveau. Je commençais à espérer que ma punition se bornerait à la prison, et mes idées s’apaisaient sous l’influence d’un bon sommeil réparateur, du beau soleil qui se jouait sur les fleurs de glace des carreaux et du bruit familier de la rue. La solitude m’était néanmoins très pénible. J’aurais voulu remuer, raconter à quelqu’un tout ce qui s’était amassé dans mon âme, et pas une créature vivante à qui parler. Cette situation me semblait d’autant plus désagréable que je ne pouvais pas m’empêcher, quelque insupportable que cela me fût, d’entendre Saint-Jérôme siffler des airs gais, comme si de rien n’était, en allant et venant dans sa chambre. J’étais absolument convaincu qu’il n’avait pas le moins du monde envie de siffler et qu’il le faisait uniquement pour me tourmenter.

À deux heures, Saint-Jérôme et Volodia descendirent et Kolia m’apporta à dîner. Je causai avec lui de ce que j’avais fait et de ce qui m’attendait. Il me dit : « Eh ! monsieur, ne vous tourmentez pas. À force d’aller mal, tout ira bien. »

Ce proverbe, qui a soutenu bien souvent mon courage dans la suite, me consola un peu. Néanmoins, le fait qu’on ne m’avait pas envoyé du pain sec et de l’eau, mais tout un dîner et même un gâteau (un biscuit), me donnait fort à penser. Si l’on ne m’avait pas envoyé ce gâteau, cela aurait voulu dire que ma punition était la prison ; puisqu’on m’envoyait un gâteau, c’est que je n’étais pas encore puni, qu’on m’avait seulement éloigné des autres comme une créature malfaisante et que la punition m’attendait encore.

Tandis que j’étais absorbé dans la solution de ce problème, la clef tourna dans la serrure de mon cachot et Saint-Jérôme apparut, la figure pincée et officielle.

« Venez chez votre grand’mère, » dit-il sans me regarder.

Avant de sortir, je voulus nettoyer la manche de ma veste, qui était pleine de blanc. Saint-Jérôme me dit que