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Et Saint-Jérôme tombait à genoux, pleurait et demandait pardon.

Le quarantième jour, mon âme s’envolait au ciel. J’y voyais quelque chose de blanc, long, transparent, merveilleusement beau, et je devinais que c’était ma mère. Ce blanc m’entoure et me caresse, mais j’éprouve un malaise et je ne la reconnais pas. « Si c’est vraiment toi, lui dis-je, montre-toi mieux, pour que je puisse t’embrasser. » Et sa voix me répond : « Ici, nous sommes tous ainsi, et je ne peux pas t’embrasser mieux. Est-ce que tu n’es pas bien comme cela ? — Si, je suis très bien, mais tu ne peux pas me chatouiller et je ne peux pas baiser tes mains… — Ce n’est pas nécessaire, dit-elle ; c’est si beau ici ! » Je sens que c’est en effet bien beau et nous volons ensemble plus haut, toujours plus haut.

Ici je fais un petit somme et, en me réveillant, je me retrouve assis sur ma malle, dans le cabinet noir, les joues humides de pleurs et répétant machinalement les mots : Nous volons plus haut, toujours plus haut. Je fais des efforts acharnés pour voir clair dans ma situation ; mais j’ai beau tendre mon esprit, je ne vois que ténèbres et effroi. J’essaye de revenir aux rêves heureux et consolants interrompus par le retour à la réalité ; mais j’ai beau me hâter de ressaisir le fil, je constate avec surprise qu’il m’est impossible de le renouer et même, ce qui est encore plus étonnant, que cela ne me ferait plus aucun plaisir.


XXXVI

À FORCE D’ALLER MAL, TOUT IRA BIEN


Je passai la nuit dans le cabinet noir, sans voir personne. Le lendemain, qui était un dimanche, on vint me chercher pour me conduire dans une petite chambre attenant