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deux cruchons de bière, dis-je. — On nous servit. Nous bûmes un verre, et mon frère Johann aussi.

« Papa ! dis-je, ne dites pas : J’avais un fils unique, et il faut m’en séparer. — Le cœur me saute dans la poitrine quand j’entends ça. Mon frère Johann ne partira pas ; c’est moi qui serai soldat !… Personne n’a besoin de Karl, et Karl sera soldat ! — Karl Ivanovitch, vous êtes un brave garçon ! dit papa, — et il m’embrassa.

« Et je fus soldat !


XXIX

SUITE


« C’était alors un temps terrible, Nicolas. C’était le temps de Napoléon. Il voulait conquérir l’Allemagne, et nous défendions notre patrie jusqu’à la dernière goutte de notre sang !

« J’étais à Ulm, j’étais à Austerlitz ! j’étais à Wagram !

— Vous vous êtes battu ? interrompis-je en le regardant avec étonnement. Vous avez tué des gens ? »

Karl Ivanovitch se hâta de me rassurer.

« Une fois, un grenadier français resta en arrière et tomba sur la route. Je courus à lui et j’allais lui enfoncer ma baïonnette dans le corps ; mais il jeta son fusil en criant : Pardon ! et je le laissai aller.

« À Wagram, Napoléon nous avait enfermés dans une île, de sorte qu’il n’y avait pas moyen de se sauver. Il y avait trois jours que nous n’avions plus de vivres et nous étions dans l’eau jusqu’aux genoux. Ce monstre de Napoléon ne voulait ni nous prendre ni nous laisser nous en aller !

« Le quatrième jour, grâce à Dieu, on nous fit prisonniers et on nous conduisit dans une forteresse. J’avais un pantalon bleu, une tunique de bon drap, quinze thalers et