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je devinai que c’était le plomb et que grand’mère savait déjà tout.

Il y avait là, outre Mimi, la femme de chambre Gacha, en proie à une violente émotion que trahissait son visage enflammé et farouche, et le docteur Blumenthal, un petit homme grêlé, qui s’efforçait en vain de calmer Gacha par des clignements d’yeux et des signes de tête pacificateurs.

Grand’mère était assise un peu en côté et faisait la patience du voyageur, ce qui était toujours, chez elle, l’indice d’une humeur détestable.

« Comment allez-vous aujourd’hui, maman ? Avez-vous bien dormi ? dit papa en lui baisant respectueusement la main.

— Parfaitement, mon cher ; vous n’ignorez pas, je suppose, que je me porte toujours admirablement, répliqua grand’mère du même ton que si la question de papa avait été souverainement déplacée et blessante. Eh bien ? continua-t-elle en se tournant vers Gacha, et mon mouchoir propre ?

— Je vous l’ai donné, répondit Gacha en montrant un mouchoir de batiste blanc comme neige, posé sur le bras du fauteuil.

— Otez-moi cette guenille sale et donnez-moi un mouchoir propre, ma chère. »

Gacha alla au chiffonnier, ouvrit un des tiroirs et le referma si violemment, que les vitres des fenêtres tremblèrent. Grand’mère nous jeta à tous un regard terrible, puis se remit à suivre les mouvements de sa femme de chambre. Lorsque celle-ci lui présenta le mouchoir (il me sembla que c’était le même), grand’mère lui dit : « Quand me râperez-vous du tabac, ma chère ?

— Quand j’aurai le temps.

— Qu’est-ce que vous dites ?

— Je dis que je vais en râper.

— Si vous ne vouliez pas faire mon service, ma chère, vous auriez mieux fait de le dire : il y a longtemps que je vous aurais renvoyée.