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pas le croire. Il déclara qu’il était impossible qu’une femme qui avait vécu soixante ans dans une maison riche, où elle avait tout entre les mains, qui avait toujours été plus qu’économe et qui lésinait sur tout, ne laissât rien après sa mort. C’était pourtant la vérité.

Nathalie Savichna fut malade deux mois et supporta la souffrance avec une patience véritablement chrétienne. Elle ne grognait plus, ne se plaignait pas et parlait constamment de Dieu, suivant son habitude. Une heure avant sa mort, elle se confessa avec une joie tranquille, communia et reçut l’extrême-onction.

Elle demanda pardon à tous les gens de la maison pour les offenses qu’elle avait pu leur faire et chargea son confesseur, le père Vassili, de nous dire à tous qu’elle ne savait comment nous remercier de nos bontés et qu’elle nous priait de lui pardonner si, par bêtise, elle avait fait de la peine à quelqu’un. « Mais je peux dire, ajouta-t-elle, que je ne suis pas une voleuse ; je n’ai jamais fait tort d’un brin de fil aux maîtres. » C’était la seule qualité qu’elle se reconnût.

Elle mit le vêtement blanc et le bonnet qu’elle avait apprêtés, s’accouda sur son oreiller et ne cessa pas, jusqu’à la fin, de causer avec le prêtre. S’étant souvenue tout à coup qu’elle ne laissait rien aux pauvres, elle prit dix roubles et chargea le père Vassili de les donner à la paroisse. Elle fit ensuite le signe de la croix, se coucha et expira en prononçant avec un sourire joyeux le nom de Dieu.

Elle quitta la vie sans regret, ne craignit pas la mort et l’accueillit comme un bienfait. C’est une chose qu’on dit souvent, mais comme elle est rarement vraie ! Nathalie Savichna pouvait ne pas craindre la mort, car elle mourait dans une foi inébranlable et elle avait accompli la loi de l’Évangile : toute sa vie n’avait été qu’amour pur et désintéressé et que sacrifice de soi-même.

Quoi ! parce que sa religion aurait pu être plus haute,