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le sujet de leurs secrets entretiens. Quand ils se rencontraient deux ou trois dans un lieu écarté, le plus décidé se laissait aller à dire : « Souffrirons-nous que cet impie continue à vivre pour nous tourmenter ? Non, finissons-en d’un coup. Ce n’est pas un péché que de tuer un tel démon. » Un jour de la semaine sainte, l’intendant avait envoyé les paysans à la forêt. Ceux-ci s’étaient réunis en un cercle familier pour prendre leur repas de midi ; la conversation s’engagea sur le même sujet.

« Frères, qu’allons-nous devenir ? disaient quelques-uns d’entre eux ; nous ne pouvons plus vivre ainsi. Le cruel nous foule aux pieds ; il nous épuise jusqu’à la moelle des os. Nous ne connaissons plus la paix du foyer domestique : jour et nuit, les femmes comme les hommes n’ont plus aucun repos ; il querelle surtout, et pour un rien qui n’est pas à sa guise, il nous fait donner le knout. Semen, le pauvre idiot, est mort des coups qu’il a reçus ; Anisim est encore aux fers ! Qu’est-ce qui nous retient ? Pourquoi ménagerions-nous ce démon ? il viendra tantôt à cheval, et aura bientôt trouvé un motif pour