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cœur de l’homme il y a l’amour, et cela me valut mon premier sourire.

« J’habitais sous votre toit, et, quand une année fut écoulée, un homme se présenta et demanda des bottes qui chausseraient ses pieds pendant un an sans s’user ; je regardai cet homme, et je vis derrière lui un de mes compagnons du ciel, l’ange de l’amour ; je ne pouvais me tromper, et je sus ainsi qu’avant le soir l’âme du gentilhomme serait redemandée, et, raisonnant en moi-même, je me dis : « Voilà donc un homme qui s’inquiète pour une année entière et qui doit mourir ce soir. » L’homme ne peut dire à l’avance ce dont son corps aura besoin. Cela est certainement la deuxième parole de Dieu : « Tu sauras ce qu’il n’a pas été donné à l’homme de connaître. » Je souris alors, parce que ma peine s’allégeait.

« J’attendis patiemment au milieu de vous que Dieu me révélât sa troisième et dernière parole. Enfin, après six années, la bonne dame est venue ici, et, dans ses petits chérubins, j’ai reconnu aussitôt les deux jumelles de la morte, et, raisonnant toujours en moi-même, je me