Page:Tolstoï - Scenes de la vie russe.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous. J’aurais bien à faire s’il me fallait nourrir tes ivrognes, tes amis de cabaret.

— Matréma ! tiens ta langue, femme stupide, et écoute ce que j’ai à te dire.

— Ce que tu as à me dire ! Voyez-vous ce grand nigaud qui voudrait m’apprendre quelque chose ! Ah ! je ne me trompais pas quand je ne voulais pas de toi pour mari. Tout le beau linge que j’ai reçu de ma mère, tu l’as vendu pour boire, et, aujourd’hui encore, tu vas au cabaret, au lieu d’acheter la pelisse.

Sema veut expliquer qu’il n’a bu que les vingt kopecks, il commence le récit de sa rencontre avec l’étranger ; mais Matréma l’interrompt coups sur coups et parle seule. Où prend-elle tout ce qu’elle dit ? Dieu, quel flux de paroles ! un mot n’attend pas l’autre. Sa mémoire rappelle des faits écoulés depuis dix ans ; elle s’excite toujours plus, elle jette les hauts cris et tombe enfin sur son mari, qu’elle saisit violemment par le bras.

— Et mon mantelet, le seul bon que j’aie, il te le fallait aussi. Rends-le-moi, ivrogne, et bien vite, ou gare le bâton ! »