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on peut croire que l’humanité se laisse guider par eux. Ce n’est là qu’une apparence : en réalité les hommes ne se laissent pas guider par ces manuels, mais par la religion qu’ils ont eue et qu’ils conservent toujours. Traités et catéchismes, en effet, ne font que reproduire, en les contrefaisant, des enseignements qui découlent naturellement de la religion. Ces prescriptions de la morale laïque sans la base de la morale religieuse me font penser à un homme qui, ignorant la musique, prendrait la place du chef d’orchestre et se mettrait à gesticuler devant les musiciens en train d’exécuter une tâche qui leur est familière. Grâce à la force acquise, grâce aussi aux notions inculquées aux musiciens par le chef d’orchestre précédent, le morceau, il est vrai, continuerait un peu de temps encore. Mais évidemment le mouvement d’un petit bâton aux mains d’un profane en musique ne saurait être qu’inutile, et finirait même certainement par embrouiller les musiciens et désorganiser l’orchestre.

La même confusion commence à se produire aussi dans les esprits de nos contemporains. C’est la conséquence des tentatives qu’ils subissent de la part de leurs directeurs intellectuels soucieux d’enseigner aux hommes une morale non fondée sur la religion supérieure qui commence à être adoptée — elle l’est déjà en partie — par l’humanité chrétienne.