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tes les infractions à l’ordre de choses établi — et il ne s’agit pas seulement de celles que le Christ et ses disciples ont commises contre l’ordre suivi dans les provinces romaines, mais des infractions à l’ordre établi actuel, commises par celui qui refuse de concourir à l’œuvre de la justice, au service militaire, au paiement de l’impôt, qui sert à préparer la guerre — on n’en pourra pas dire qu’elles sont contraires à la morale, car elles constituent la condition sine qua non de sa manifestation.

Le cannibale qui cesse de manger son semblable viole par cela même l’ordre établi dans la société dont il est membre. En sorte que si, d’une part, des actes qui violent l’ordre social établi peuvent être immoraux, il n’en est pas moins hors de doute, d’autre part, que tout acte véritablement moral, tout acte qui fait faire à la morale un pas en avant, consiste toujours en une transgression de l’ordre social. Et, par conséquent, si nous supposions la promulgation, au sein d’une société, d’une loi en vertu de laquelle chacun devrait sacrifier ses propres intérêts au maintien de la société dans son intégrité, cette loi ne serait pas une loi conforme à l’éthique, mais bien plutôt une loi contraire à toute éthique : cette même loi de la lutte pour l’existence, dissimulée, à l’état latent. C’est toujours la même lutte, mais avec d’autres combattants : aux unités qui com-