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puissant dont ils se considèrent comme dépendants ; ils ont imaginé les âmes vivantes des morts, et cela non pas uniquement sous l’empire de la frayeur, mais par quelques autres motifs. Il est évident que dans ces motifs se trouve contenue l’essence même de ce qu’on appelle religion.

En outre, chaque homme, pour peu qu’il ait éprouvé, ne fût-ce que dans son enfance, le sentiment religieux, sait par son expérience personnelle que ce sentiment a toujours été provoqué chez lui non pas par des phénomènes matériels, effrayants et d’ordre externe, mais par des phénomènes d’ordre interne qui n’avaient rien de commun avec l’effroi ressenti en face des forces incompréhensibles de la nature : par la conscience de son néant, de sa solitude, de son état de péché.

Et, par conséquent, l’homme peut apprendre, soit en observant autour de lui, soit par son expérience personnelle, que la religion ne consiste pas en une attitude de soumission vis-à-vis des divinités — attitude naturelle aux hommes seulement à un certain moment de leur développement — qui serait provoquée par la frayeur superstitieuse ressentie en face des forces inconnues de la nature. Il peut apprendre que la religion est quelque chose de complètement indépendant de toute frayeur et du degré de culture de l’homme, quelque chose que ne peut anéantir aucun