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RÉSURRECTION

Derrière la porte, dans la chambre des prisonnières, l’agitation était grande : on entendait des voix, des rires, des pas de pieds nus.

— Allons, presse-toi ! — cria le vieux gardien, entr’ouvrant de nouveau la porte.

Quelques instants après, une femme sortit vivement de la chambre, une jeune femme, petite, mais de taille bien prise. Elle avait endossé un sarrau gris sur sa camisole et sa jupe blanches. Ses pieds, couverts de bas de toile, étaient chaussés des gros souliers des détenues. Un fichu blanc enserrait sa tête, laissant dépasser quelques boucles de cheveux noirs soigneusement frisées. Et sur tout le visage de la femme se voyait cette pâleur d’un genre particulier qui ne se voit que sur le visage de personnes ayant depuis longtemps séjourné dans un lieu clos. Mais d’autant plus ressortait, en contraste avec cette pâleur mate de la peau, l’éclat de deux grands yeux noirs, dont l’un louchait quelque peu ; et l’ensemble avait une expression très spéciale de grâce caressante. La jeune femme se tenait très droite, tendant son ample poitrine.

Arrivée dans le corridor, elle inclina légèrement la tête, puis fixa, droit dans les yeux, le vieux gardien ; et puis elle se tint prête à faire tout ce qu’on lui commanderait. Le gardien, cependant, s’apprêtait à refermer la porte, lorsque celle-ci s’entrebâilla une fois de plus ; et l’on en vit sortir le sombre visage d’une vieille femme aux cheveux blancs, tête nue. Cette vieille se mit à parler tout bas à la Maslova : mais le gardien la repoussa vivement à l’intérieur de la chambre, et referma la porte. La Maslova, alors, s’approcha d’un judas pratiqué dans la porte ; et le visage de la vieille femme se montra aussitôt, de l’autre côté. On entendit, à travers la porte, une voix éraillée :

— Fais attention, et surtout n’aie pas peur ! Et nie tout, tiens bon, voilà tout !

— Bah ! — répondit la Maslova, en secouant la tête, — une chose ou l’autre, c’est tout un ! Il ne peut toujours rien m’arriver de pire que ce que j’ai à présent !