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damnations qu’ils leur faisaient subir qu’en ajoutant à la somme des crimes de ces prisonniers, — aux crimes des voleurs et des assassins, — leurs propres crimes, ceux de ces criminels que sont les conseillers de cours, les procureurs, les bourreaux, les juges d’instruction, les policiers et les garde-chiourme.

Et Nekliludov comprit soudain que cela devait être fatalement ainsi. Et il comprit que, si la société et l’ordre social continuaient à exister, ce n’était point grâce aux magistrats avec leur cruauté, mais au contraire malgré eux, et parce que, à côté d’eux, les hommes continuaient à avoir pitié l’un de l’autre et à s’aimer l’un l’autre.

L’Évangile avait enfin parlé au cœur de Nekhludov, s’était révélé à lui comme à tout homme qui consent à le lire. Et Nekhludov résolut d’en lire encore quelques pages. Il prit le Discours sur la Montagne, qui, de tout temps, l’avait beaucoup touché. Mais, cette fois, en le lisant, il découvrit que ce discours n’était pas simplement un recueil de nobles pensées et d’images émouvantes, exposant un idéal moral à peu près irréalisable. Il s’aperçut que le Discours sur la Montagne ne contenait que des préceptes tout à fait clairs, simples, pratiques, faciles à appliquer, et dont l’application aurait aussitôt pour conséquence de créer une société humaine absolument nouvelle, supprimant toute violence et toute injustice, et, dans la mesure permise à la faiblesse humaine, inaugurant sur la terre le Royaume des Cieux.

Ces préceptes étaient au nombre de cinq :


Le premier consistait à dire que l’homme non seulement ne devait pas tuer un autre homme, son frère, mais ne devait pas s’irriter contre lui, ne devait pas l’accuser, le mépriser ; et que, s’il s’était querelle avec un autre homme, il devait se réconcilier avec lui avant d’offrir aucun don à Dieu, c’est-à-dire avant de s’unir à Dieu par la prière du cœur.