Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/591

Cette page a été validée par deux contributeurs.

maître ordonna qu’il fût vendu, lui, sa femme et ses enfants, et tout ce qu’il avait afin que la dette fût payée.

26. « Et, ce serviteur, tombant à ses pieds, se prosternait devant lui et lui disait : — Seigneur, aie patience envers moi, et je te paierai tout !

27. « Alors le maître de ce serviteur, ému de pitié, le laissa aller et lui remit sa dette.

28. « Mais ce serviteur, étant sorti, rencontra un de ses compagnons de service qui lui devait cent deniers ; et, l’ayant saisi, il l’étranglait en disant : rends-moi ce que tu me dois !

29. « Et son compagnon de service, tombant à ses pieds, le supplia en disant : Aie patience envers moi et je te paierai !

30. « Mais le serviteur ne voulut pas avoir patience, et, s’en étant allé, il fit jeter son compagnon en prison jusqu’à ce qu’il eût payé sa dette.

31. « Ses autres compagnons de service, voyant ce qui s’était passé, en furent très attristés ; et ils vinrent rapporter à leur maître ce qui s’était passé.

32. « Alors le maître fit venir le serviteur et lui dit : — Méchant serviteur, je t’ai remis toute ta dette parce que tu m’as supplié.

33. « Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme j’ai eu pitié de toi ? »

— Serait-ce donc cela ? — s’écria tout à coup Nekhludov après avoir lu ces paroles. — La réponse que je cherche serait donc là ?

Et la voix intime de tout son être lui répondit : Oui, c’est cela, ce n’est rien que cela !

Et le même phénomène se produisit chez Nekhludov qui se produit souvent chez les personnes accoutumées à la vie spirituelle. Une pensée, qui d’abord leur a paru étrange, paradoxale, fantaisiste, soudain s’éclaire à leurs yeux des résultats de toute une expérience jusque-là inconsciente, et devient aussitôt pour elles une simple, claire, évidente vérité. Ainsi s’éclaira soudain, aux yeux de Nekhludov, la pensée que l’unique remède possible au mal dont souffraient les hommes consistait en ce