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— La solution ne dépend pas de moi ! — dit Nekhludov.

— Vous avez reçu mon billet ? Vous ferez ce que je vous ai demandé ? — demanda Marie Pavlovna.

— Comptez sur moi ! — répondit Nekhludov.

Puis, croyant voir que le visage de Kriltzov se contractait de nouveau, comme si cet entretien où il ne pouvait prendre part l’eût importuné, Nekhludov s’écarta et regagna sa voiture. L’allusion de Kriltzov lui avait remis en mémoire sa propre situation, qu’il s’était, depuis la veille, efforcé d’oublier ; et un désir lui était venu de rejoindre au plus vite Katucha, pour avoir avec elle un entretien décisif. De nouveau il ordonna au cocher de faire trotter ses chevaux, et c’est avec un serrement de cœur qu’il aperçut devant lui, après deux ou trois verstes de course, le fichu bleu qui couvrait la tête de la Maslova. La jeune femme marchait à l’arrière du convoi, en compagnie de Véra Efremovna et de Simonson, qui paraissait en train d’expliquer quelque chose à ses deux compagnes, avec force gestes de ses longs bras maigres.

Quand Nekhludov les eut rejoints, les deux femmes le saluèrent en souriant, et Simonson ôta sa casquette avec un empressement tout particulier. Mais Nekhludov, en les voyant ainsi réunis, ne se sentit pas le courage de leur parler. Au moment de faire arrêter sa voiture, il se ravisa : et il ne tarda pas à dépasser le convoi, qui se traînait le long de la route avec son accompagnement ordinaire de cris, de rires, et de bruits de chaînes.


La route que suivait sa voiture le conduisit dans une sombre forêt, où des bouleaux et des mélèzes offrirent à ses yeux les mille nuances diverses du jaune de leurs feuilles. Puis la forêt disparut ; des deux côtés de la route s’étendirent d’immenses champs ; et, dans le lointain, Nekhludov aperçut les coupoles et les croix dorées d’un monastère.

Cependant le jour s’était brusquement égayé, les nuages s’étaient dispersés, le soleil avait surgi au-des-