— Viens, petite, viens te coucher ! — disait doucement le forçat.
— Elle se trouve bien ici ! — répondit Marie Pavlovna, considérant avec pitié le visage meurtri du pauvre homme. — Laissez-la-nous !
— La dame me fait une robe neuve, une belle robe rouge, papa ! — fit l’enfant, en montrant à son père l’ouvrage d’Émilie Rantzev.
— Veux-tu dormir chez nous ? — lui demanda celle-ci en la caressant.
— Je veux bien. Mais je veux que papa dorme aussi avec moi.
La Hantzeva sourit, d’un de ces bons sourires qui la rendaient belle.
— Ton père est forcé d’aller dormir dans l’autre salle ! Mais il nous permettra bien de te garder prés de nous, n’est-ce pas ? — dit-elle en se tournant vers le père.
— Arrangez-vous comme vous voudrez ! — déclara le gardien-chef ; et il sortit avec les trois gardiens.
À peine les gardiens étaient-ils sortis que Nabatov s’approcha du père de la petite fille et lui dit, en lui posant sa forte main sur l’épaule :
— Dis donc, frère, est-ce vrai que Karmanov veut changer de nom avec un déporté ?
Le tranquille visage du forçat prit soudain une expression sombre, et ses yeux s’abaissèrent.
— Nous n’avons entendu parler de rien ! Dieu sait quels mensonges on invente ! — répondit-il. Puis, sans relever les yeux : — Eh bien, Aniutka, reste donc à faire la princesse avec les belles dames ! — ajouta-t-il ; et il sortit précipitamment.
— Il sait tout : ce que vous a dit ce Macaire est certainement vrai ! — dit Nabatov en s’adressant à Nekhludov.
Et là-dessus tous se turent, craignant de voir recommencer les querelles.