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Tous deux, ces condamnés politiques, étaient sortis du peuple. Le premier, Nabatov, était un paysan ; le second, Markel, un ouvrier de fabrique. Mais, tandis que Markel n’était devenu révolutionnaire qu’à trente-cinq ans, Nabatov l’était presque depuis son enfance. À l’école de son village, il avait montré de telles dispositions qu’on l’avait envoyé au collège ; et là encore il avait toujours occupé les premières places. Il en était sorti avec une médaille d’or ; mais, au lieu d’entrer ensuite à l’université, il avait résolu de revenir dans le peuple, estimant que son devoir était de partager avec ses frères ce qu’il avait appris. Il s’était fait nommer greffier dans un grand village, avait prêté aux paysans ou leur avait lu toute sorte de livres, avait organisé chez eux une société de secours mutuels, et n’avait point tardé à être arrêté. On l’avait relâché, après huit mois de prison, mais dès lors la police avait eu l’œil sur lui. Lui, cependant, à peine remis en liberté, était allé dans un autre gouvernement, s’était fait nommer maître d’école dans un village, et avait recommencé son apostolat. Arrêté de nouveau, condamné à deux ans de prison, il n’avait fait que se fortifier dans ses convictions.

Au sortir de son second emprisonnement, il avait été déporté dans le gouvernement de Perm. Il y était resté sept mois, au bout desquels, pour avoir refusé de prêter serment au nouvel empereur, il avait été mis en prison de nouveau, et condamné à la déportation dans le gouvernement de Iakoutsk, au fond de la Sibérie. Ainsi il avait passé la moitié de sa vie dans les prisons ou l’exil. Mais toutes ces épreuves, loin de l’aigrir, lui avaient donné sans cesse plus d’entrain et plus d’énergie.

C’était un homme d’une résistance extrême, plein de santé physique et morale. En quelque lieu qu’il se trouvât, toujours il était également actif, vaillant, et gai. Jamais il ne regrettait le passé, jamais il ne cherchait à prévoir l’avenir : toutes les forces de son intelligence, de son habileté, de son sens pratique, il les appliquait au moment présent. Quand il était en liberté, il s’employait à poursuivre l’objet qu’il s’était