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RÉSURRECTION

bruit, tremblant comme si c’était moi-même qui dusse être pendu. Au petit jour, j’entendis s’ouvrir les portes du corridor, et des pas nombreux se rapprocher de nous. Je me levai, je courus au judas de ma cellule. Le corridor n’était éclairé que d’une petite lampe. Je vis passer, d’abord, le directeur de la prison. C’était un gros homme toujours content de lui, et portant la tête haute ; mais, ce jour-là, il était pâle, sombre, et marchait les yeux baissés. Derrière lui venait un officier de police, suivi de deux gendarmes. Ces quatre personnes passèrent devant ma cellule, pour s’arrêter quelques pas plus loin. Et j’entends l’officier qui s’écrie, d’une voix singulière : « Lozinski, levez-vous, mettez une chemise blanche ! » Puis, un grand silence ; puis j’entends une porte s’ouvrir, j’entends les pas de Lozinski sortant de sa cellule. Par mon judas, je ne pouvais voir que le directeur. Il se tenait là, pâle et défait, tirant ses moustaches sans relever la tête. Et tout d’un coup je le vois qui recule, comme épouvanté. C’était Lozinski qui venait de passer devant lui pour s’approcher de la porte de ma cellule. Un beau jeune homme, ce Lozinski ! Vous savez, de ce charmant type polonais : un front large et droit, de fins cheveux blonds sortant de la casquette, et de beaux yeux bleus comme des yeux d’enfant. Un garçon plein de santé et de vie, une vraie fleur humaine ! Il s’était arrêté devant mon judas, de telle sorte que je pouvais voir son visage tout entier. Un visage terrible à voir, à la fois souriant et sombre ! « Kriltzov, avez-vous une cigarette ? » Je voulais lui passer une cigarette, lorsque le directeur, avec un empressement fébrile, tira son étui et le lui présenta. Lozinski prit une cigarette, l’officier lui donna du feu ; et il se mit à fumer, la mine pensive. Et soudain, relevant la tête, comme s’il s’était rappelé quelque chose : « C’est injuste ! je n’ai rien fait de mal. Je… » Un frémissement secoua sa jeune gorge blanche, de laquelle je ne pouvais détacher mes yeux ; et il se tut.

« Au même instant, j’entends Rosenberg qui, dans sa cellule, se mettait à crier de sa voix perçante de juif.