— Merci, je te remercie ! Ah ! si tu savais ce que j’ai vu aujourd’hui ! — reprit-il, se rappelant soudain les deux prisonniers morts. — Deux hommes tués !
— Comment cela, tués ?
— Tués, oui, certainement. On leur a fait traverser toute la ville, par cette chaleur, et deux d’entre eux sont morts d’insolation.
— Impossible ! Comment ? Aujourd’hui ? Tout à l’heure ?
— Oui, tout à l’heure ! J’ai vu leurs cadavres.
— Mais pourquoi les a-t-on tués ? Qui les a tués ? demanda Nathalie Ivanovna.
— Qui ? Ceux-là qui les ont fait marcher de force, sous ce soleil ! — répliqua Nekhludov d’un ton agacé, sentant que sa sœur considérait tout cela d’un autre œil que lui.
— Seigneur Dieu ! est-ce possible ? — demanda Agrippine Petrovna, qui n’avait pu s’empêcher d’écouter.
— Oui, nous n’avons pas la moindre idée de ce que l’on fait subir à ces malheureux ; et cependant nous aurions le devoir de nous en informer ! — poursuivit Nekhludov en tournant involontairement les yeux sur le vieux prince qui, une serviette au cou, se bourrait de jambon sans penser à rien d’autre. Mais soudain le vieillard releva la tête et aperçut Nekhludov.
— Nekhludov ! — cria-t-il. — Vous ne voulez pas vous rafraîchir ? Pour le voyage, c’est indispensable !
Nekhludov remercia d’un signe de tête.
— Eh bien, que vas-tu faire ? — reprit Nathalie Ivanovna.
— Ce que je pourrai ! Je sens en tout cas que je dois faire quelque chose. Et ce que je pourrai, je le ferai !
— Oui, oui, je te comprends. Et avec eux, — dit-elle, en désignant Korchaguine, — est-ce que tout est fini ?
— Tout, et, à ce que j’imagine, sans regret de part ni d’autre.
— C’est dommage, grand dommage ! J’aime tant Missy ! Enfin, je n’ai rien à dire ! Mais pourquoi veux-tu te lier de nouveau ? — demanda-t-elle timidement ; — pourquoi pars-tu ?