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RÉSURRECTION

une tante qui demeurait sur la ligne de Nijni-Novgorod. Osten, à ce propos, raconta gaiement des histoires d’incendies.

Mais Nekhludov, sans l’écouter, se tourna vers sa sœur :

— Comme je suis heureux que tu sois venue !

— Je te cherche depuis deux heures, — dit-elle. — Avec Agrippine Petrovna, nous avons exploré toute la ville sans pouvoir mettre la main sur toi.

Elle désigna, d’un mouvement de tête, la grosse gouvernante qui, vêtue d’un waterproof et coiffée d’un chapeau à fleurs, se tenait modestement un peu à l’écart, pour ne pas gêner la conversation.

— Figure-toi que je me suis endormi, ici, sur un canapé ! Comme je suis heureux que tu sois venue ! — répéta-t-il. — J’avais précisément commencé une lettre pour toi !

— Vraiment ? — demanda-t-elle d’un air inquiet. — Et que m’écrivais-tu ?

Missy, voyant que le frère et la sœur commençaient un entretien intime, crut devoir s’éloigner avec son cavalier. Nekhludov conduisit sa sœur près de la fenêtre ; ils s’assirent sur un banc de velours vert, où se trouvaient déposés une valise, un plaid et un carton à chapeau.

— Eh bien ! oui, hier, en sortant de chez vous, j’ai pensé à revenir sur mes pas pour faire des excuses à ton mari, — dit Nekhludov ; — mais j’ai craint qu’il ne prît mal la chose. J’ai été méchant, hier, pour ton mari ; et cela me tourmente.

— Je savais, j’étais sûre que tu n’avais pas eu de mauvaise intention ! — répondit Nathalie Ivanovna. — Tu sais que…

Et des larmes lui montèrent aux yeux, et elle étreignit fiévreusement la main de son frère. Nekhludov comprit aussitôt le sens de la phrase qu’elle n’avait pas achevée. Elle voulait dire que, tout en aimant son mari plus que le monde entier, elle l’aimait bien aussi, lui, son frère, et que toute division entre eux la faisait cruellement souffrir.