donnera ses conclusions en conséquence. Et puis, en second lieu, ce n’est nullement l’usage que l’innocent soit condamné. Ce sont les coupables qui sont condamnés, — poursuivit le gros homme de son ton tranquille, avec son éternel sourire satisfait.
— Eh bien ! moi, je me suis convaincu du contraire ! — affirma Nekhludov, de plus en plus malveillant pour son beau-frère. Je me suis convaincu que près de la moitié des gens que condamnent les tribunaux sont innocents.
— Et dans quel sens entendez-vous cela ?
— Ils sont innocents dans le sens le plus ordinaire du mot, comme cette femme est innocente d’avoir empoisonné le marchand ; comme est innocent un homme que j’ai vu ces jours-ci, et qui est condamné pour un meurtre qu’il n’a pas commis ; comme sont innocents un fils et une mère accusés d’un incendie dont le seul auteur est l’incendié lui-même !
— Oui, sans doute, il y a toujours eu et il y aura toujours des erreurs judiciaires. La justice humaine ne saurait prétendre à être infaillible.
— Mais la grande majorité des condamnés sont innocents parce que, ayant été élevés dans de certains milieux, ils n’ont pas considéré comme criminels les actes qu’ils ont commis.
— Permettez ! Tout voleur sait que le vol n’est pas une bonne action, qu’il ne doit pas voler, que c’est chose immorale de voler ! — fit Ignace Nicéphorovitch, avec un sourire légèrement ironique qui acheva d’exaspérer Nekhludov.
— Pas du tout, il ne le sait pas ! On lui dit de ne pas voler ; mais il voit que son patron lui vole son travail, que les fonctionnaires lui volent son argent…
— Savez-vous que ce que vous dites est tout simplement de l’anarchisme ! — interrompit, de son ton le plus calme, Ignace Nicéphorovitch.
— Peu m’importe comment s’appelle ce que je dis, mais je dis ce qui est ! — poursuivit Nekhludov. — Cet homme sait que les fonctionnaires le volent ; il sait que