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RÉSURRECTION

tait pour la cassation ; Bé, qui seul s’était pleinement rendu compte de la nature de l’affaire, insistait dans le même sens, présentant à ses collègues un vivant tableau de l’inintelligence des jurés et de la négligence des magistrats. Nikitine, au contraire, toujours partisan de la stricte légalité, était opposé à la cassation. Tout dépendait donc de la voix de Skovorodnikov. Or celui-ci se déclara opposé à la cassation, et cela, simplement, parce que la résolution de Nekhludov de se marier, par devoir, avec la Maslova, l’avait choqué au plus haut degré.

Ce Skovorodnikov était matérialiste, darwiniste ; toute manifestation du sentiment du devoir, et plus encore du sentiment religieux, lui faisait l’effet non seulement d’une absurdité révoltante, mais aussi de quelque chose comme une injure personnelle. Et voilà pourquoi, sans même s’interrompre de fourrer sa barbe entre ses dents, il déclara ne rien voir dans l’affaire que la légalité du jugement, et l’insuffisance des motifs invoqués pour la cassation.

Le pourvoi de la Maslova fut donc rejeté.


V


— Mais c’est horrible ! — s’écria Nekhludov en s’avançant vers l’avocat, après la lecture de l’arrêt. Une condamnation d’une injustice évidente ! Et eux qui la confirment, sous prétexte qu’elle ne contient pas de vice de forme !

— C’est un parti-pris chez eux ! — répondit l’avocat.

— Et Sélénine aussi, opposé à la cassation ! C’est horrible ! — répéta Nekhludov. — Que faire, maintenant ?

— Présenter un recours en grâce ! Présentez-le vous-même pendant que vous êtes ici ! Je vais vous le rédiger.

À ce moment le sénateur Wolff, avec toutes ses croix sur son uniforme, entra dans la salle et s’approcha de Nekhludov :

— Que faire, mon cher prince ? Les motifs de cassa-