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RÉSURRECTION

Ces sénateurs étaient au nombre de quatre. Il y avait d’abord celui qui faisait fonction de président, Nikitine, un grand homme glabre, avec un visage mince et des yeux d’acier ; puis Wolff, rasé de frais, et montrant ses belles mains blanches ; puis Skovorodnikov, un petit vieux gros et lourd, le visage tout grêlé de petite vérole ; enfin Bé, le vieillard à la mine patriarcale. Derrière, les sénateurs entrèrent, sur l’estrade, le greffier et le substitut du procureur, — ce dernier un homme encore jeune, maigre, sec, avec un teint sombre et une profonde expression de tristesse dans les yeux. En dépit de l’étrange costume qu’il portait, Nekhludov reconnut en lui, aussitôt, un de ses meilleurs amis de l’Université.

— Ce substitut ne s’appelle-t-il pas Sélénine ? — demanda-t-il à son avocat, qui était venu s’asseoir près de lui sur les bancs du public.

— Oui, eh bien ?

— Je le connais beaucoup, c’est un homme de haute valeur.

— Et un substitut extrêmement remarquable, très actif, déjà très influent. C’est à lui que vous auriez dû vous adresser, — dit l’avocat.

— Oh ! celui-là agira toujours uniquement d’après sa conscience ! — dit Nekhludov, se rappelant les éminentes qualités de piété, de probité, de noblesse de son ancien condisciple.

— D’ailleurs, ce serait trop tard, maintenant ! — répondit Faïnitzine ; après quoi il se remit à écouter religieusement la discussion de l’affaire.

Nekhludov se mit à l’écouter aussi ; et de toutes ses forces il essaya de comprendre ce qui se passait devant lui. Mais, de nouveau, il en était empêché par ce fait que, au lieu de discuter le fonds du procès, on faisait porter tout le débat sur des incidents accessoires. Le procès avait pour cause un article de journal dénonçant les escroqueries du président d’une société d’actionnaires. L’important, en bonne justice, eût été de savoir si vraiment ce président volait ses mandataires, et, dans ce cas, comment on pouvait mettre fin à ses