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RÉSURRECTION

ajouta Ivan Mikaïlovitch, — mais, dans tous les cas, c’est un homme très comme il faut. Il m’a de l’obligation et fera ce qu’il pourra. » La seconde lettre serait pour un membre influent de la commission des grâces, devant laquelle allait être présenté le recours de Fédosia. L’histoire de cette dernière, telle que la raconta Nekhludov, parut intéresser très vivement l’ancien ministre. « Si Sa Majesté me fait l’honneur de m’inviter à une de ses prochaines petites réunions du jeudi, déclara-t-il, peut-être trouverai-je l’occasion de glisser un mot sur cette affaire. »

Ayant reçu de son oncle ces deux lettres, et de sa tante un billet pour Mariette Chervianska, Nekhludov se mit aussitôt en route pour commencer ses démarches.

Il se rendit tout d’abord chez Mariette. Il l’avait connue jeune fille, et savait que, après une enfance assez pauvre, elle s’était mariée avec un fonctionnaire très actif et très ambitieux, qui avait su se créer déjà une haute situation. Il savait en outre que ce mari de Mariette avait une réputation des plus suspectes ; et son embarras était extrême à la pensée de devoir solliciter l’appui d’un homme qu’il méprisait. Cet embarras se doublait encore, pour lui, d’un sentiment plus personnel. Il craignait que, au contact de ce monde dont il avait résolu de sortir, le goût, ou tout au moins l’habitude ne lui revînt d’une vie facile et superficielle. Il avait éprouvé ce sentiment, déjà, en arrivant chez sa tante. Il se rappelait comment, dans son entretien avec elle, il s’était laissé aller à traiter les questions les plus graves sur un ton ironique et, badin.

D’une façon générale, au reste, Pétersbourg faisait de nouveau sur lui l’impression amollissante et grisante qu’il en avait ressentie autrefois. Tout y était si propre, si commode, on y sentait une telle absence de scrupules intellectuels et moraux, que la vie y semblait plus légère que partout ailleurs.

Un cocher d’une propreté admirable le conduisit, dans une voiture d’une propreté admirable, sur un pavé propre et poli, à travers des rues élégantes et propres, jusqu’à la maison où demeurait Mariette.