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RÉSURRECTION

rant sur les genoux de sa mère, il lui jurait d’être toujours bon et de ne jamais lui faire de peine. Il se sentait redevenu pareil à ce qu’il avait été quand, avec son ami Nicolas Irtenev, ils avaient résolu de se prêter toujours assistance l’un à l’autre dans la voie du bien, et de consacrer toute leur vie au bonheur des hommes.

Il se rappela ensuite comment, à Kouzminskoïe, une mauvaise tentation lui était venue, qui l’avait porté à regretter sa maison, et ses bois, et sa ferme et ses terres. Et il se demanda si, dans le secret de son cœur, il conservait encore quelque regret de tout cela. Non seulement il n’en conservait plus, mais il ne comprenait plus qu’il eût pu en avoir. Et il revit aussitôt ce qu’il avait vu dans le village, en allant chez Matrena. Il revit la jeune mère sans mari, dont le mari était en prison pour avoir coupé un arbre dans son bois, à lui Nekhludov ; il revit l’affreuse Matrena, qui avait été jusqu’à lui dire que c’était le devoir des jeunes filles de sa classe de se prêter aux amours de leurs maîtres. Il se rappela ce que la vieille lui avait dit de la façon dont les enfants étaient conduits à l’asile, et devant ses yeux reparut l’effrayant enfant vieillot, avec son sourire et ses maigres jambes. Et de cet enfant sa pensée se transporta vers la prison, les têtes rasées, les cellules, la puanteur des corridors, les chaînes ; et en regard de toutes ces misères il vit le luxe stupide de sa propre vie, de la vie des villes.

Le croissant de la lune, cependant, s’était de nouveau dégagé, derrière les granges, et des ombres noires s’allongeaient dans la cour, et le fer des toits brillait doucement.

Et, comme s’il n’avait pu se résigner à ne pas saluer cette lumière, l’oiseau dans le buisson siffla de nouveau, avec un petit claquement de son bec.

Nekhludov se rappela comment, à Kouzminskoïe, il s’était mis en peine de réfléchir sur sa vie, de penser à ce qu’il ferait et à ce qu’il deviendrait. Il s’était posé des questions qu’il n’avait pu résoudre, tant il voyait de motifs pour et contre, tant la vie lui paraissait compliquée et difficile. Il se posa de nouveau les mêmes ques-