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RÉSURRECTION

vêtue d’une chemise et d’une jupe si sales qu’on les aurait dites toutes couvertes de cendres.

Et s’élançant dans la rue d’un air épouvanté, sans oser lever les yeux sur Nekhludov, elle saisit son enfant et l’emporta dans la maison.

C’était cette même femme dont le mari était en prison, depuis six mois, pour avoir coupé deux bouleaux dans les bois de Nekhludov.

— Eh bien ! et Matrena, est-ce qu’elle est pauvre aussi ? — demanda Nekhludov, comme ils approchaient de l’extrémité du village.

— Comment serait-elle pauvre ? elle vend à boire ! — répliqua d’un ton décidé le petit garçon à la chemise rose.

Devant la porte de Matrena, Nekhludov prit congé de ses deux compagnons. La maison de la vieille femme était petite et ne contenait qu’une seule pièce. Lorsque Nekhludov y pénétra, Matrena était en train de tout mettre en ordre, avec l’aide de l’aînée de ses petites-filles. Deux autres enfants sortirent d’un coin en apercevant le nouveau venu, et vinrent se placer devant la porte, en s’appuyant au linteau d’un air à la fois effrayé et curieux.

— Qu’est-ce qu’il vous faut ? — demanda, d’une voix aigre, la vieille femme, ennuyée d’être dérangée dans son travail, et qui, de plus, comme cabaretière, était tenue à se méfier des figures inconnues.

— Je suis… de la ville… je veux vous parler. La vieille, sans répondre, l’examinait de ses petits yeux. Soudain l’expression de son visage se transfigura.

— Ah ! c’est toi, mon agneau ! Et moi, vieille bête, qui ne te reconnaissais pas ! Et je me disais : C’est, bien sûr, un passant qui va me demander quelque chose ! Pardonne-moi, au nom du Christ !

Elle parlait d’une voix caressante et flûtée.

— Ne pourrais-je pas vous dire quelques mots en particulier ? — demanda Nekhludov, en désignant des yeux la porte, restée ouverte, où se tenaient les enfants, et où venait d’apparaître une maigre jeune femme, portant sur