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RÉSURRECTION

Il se secoua, releva la tête : « Non, se dit-il, je ne céderai pas ! » Puis il se demanda : « Est-ce bien ou mal, ce que je fais ? Bah ! je le saurai demain ! » Et c’est là-dessus qu’enfin il s’endormit.


II


Le lendemain matin, Nekhludov ne se réveilla qu’à neuf heures. Le jeune commis chargé de le servir, dès qu’il l’entendit remuer, lui apporta ses bottines, plus luisantes qu’elles n’avaient jamais été, posa près de son lit une cruche d’eau de source, fraîche et limpide, et lui annonça que les paysans commençaient à se réunir.

Nekhludov sauta en bas de son lit, et le souvenir lui revint des événements de la veille. Ses sentiments de regret à la pensée de céder ses terres avaient de nouveau disparu sans laisser de trace. Il se trouva même tout surpris d’avoir pu éprouver de tels sentiments. Tout en s’habillant, il se réjouissait de l’acte qu’il allait accomplir, et à sa joie se mêlait, malgré lui, une certaine fierté.

Il voyait, de sa fenêtre, la pelouse du tennis envahie par les chicorées sauvages, sur laquelle se rassemblaient les paysans. Ce n’était pas en vain que les grenouilles avaient croassé la veille : car le temps avait changé dans la nuit. Une petite pluie fine et tiède, sans ombre de vent, tombait depuis le matin, accrochant ses gouttes aux feuilles et aux herbes. L’air qui pénétrait dans la chambre était imprégné à la fois de l’odeur des verdures et de celle de la terre détrempée par la pluie. Nekhludov regardait venir les paysans sur la pelouse. L’un après l’autre ils arrivaient, se saluaient, se plaçaient en cercle, et causaient, appuyés sur leurs bâtons.

Le gérant, un gros homme trapu, vêtu d’une redingote courte avec un collet vert et d’énormes boutons, entra dans la chambre. Il dit à Nekhludov que tout le monde était réuni, mais qu’on pouvait attendre ; et il lui