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RÉSURRECTION

est-ce que je pourrais la voir ? — demanda-t-il après un silence.

— Parfaitement !

Le directeur prit par les bras sa petite fille, qui continuait à dévisager Nekhludov, la fit doucement sortir d’entre ses genoux, et se leva pour conduire Nekhludov vers la prison.

Il n’avait pas encore achevé de revêtir son manteau, dans l’antichambre, lorsque de nouveau se firent entendre, sèchement rythmées, les roulades de Clementi.

— Elle était au Conservatoire ; mais il y a eu des désordres, on a congédié les élèves ! — dit le directeur en descendant l’escalier. — Elle a des dispositions ! Elle voudrait jouer dans les concerts !

Nekhludov et le directeur se dirigèrent vers le bureau. Toutes les portes, en un clin d’œil, s’ouvrirent sur leur passage. Dans le corridor, quatre forçats, qui portaient des seaux, les rencontrèrent ; et Nekhludov les vit trembler en apercevant le directeur. L’un d’eux, en particulier, baissa la tête et prit un air méchant, et ses yeux noirs s’allumèrent soudain.

— Évidemment le talent doit être encouragé, on n’a pas le droit de l’entraver ; mais, dans un petit appartement comme le nôtre, voyez-vous, ce piano qui n’arrête pas, c’est souvent pénible ! — poursuivit le directeur sans faire aucune attention à ses prisonniers.

Et, traînant ses jambes lasses, il conduisit Nekhludov dans la grande salle.

— Comment s’appelle la détenue que vous voulez voir ? — demanda-t-il.

— Bogodouchovska !

— Elle est dans l’autre bâtiment, avec les politiques. Il faudra que vous ayez l’obligeance d’attendre un peu. Je vais l’envoyer chercher.

— Ne pourrais-je pas, en attendant, voir le prisonnier Menchov, condamné pour incendie ?

— Celui-là est en cellule. Voulez-vous aller le voir dans sa cellule ?

— Mais oui, cela m’intéressera !