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RÉSURRECTION

aise ! — poursuivit-il en s’asseyant en face de Nekhludov et en faisant effort pour cacher le sourire que provoquait en lui la pensée de l’excellente affaire qu’il y venait de conclure.

— Merci ! — répondit Nekhludov ; — je suis venu pour cette affaire de la Maslova…

— Oui, oui, parfaitement ! Hein ! quelle canaille que ces gros bourgeois ! Vous avez vu, tout à l’heure, le gaillard qui est sorti d’ici ? Figurez-vous qu’il a douze millions de capital ! Et s’il peut seulement vous soustraire un billet de vingt-cinq roubles, il vous l’arrachera avec les dents plutôt que de vous le laisser !

L’avocat débitait cela d’un ton familier et plaisant, comme pour rappeler à Nekhludov qu’avec lui, Nekhludov, il était du même bord, tandis qu’il n’avait rien de commun avec son précédent visiteur, ni avec ceux qui se morfondaient à l’attendre dans le salon.

— Je vous demande pardon, mais vraiment le misérable m’a trop agacé ! J’avais besoin de m’épancher un peu ! — reprit-il comme pour s’excuser de sa digression. — Et maintenant arrivons à notre affaire ! J’ai soigneusement étudié le dossier. Ce maudit avocaillon a été au-dessous de tout ! Il a laissé échapper tous les motifs de cassation.

— Et alors, que décidez-vous ?

— Je suis à vous, dans une minute. — Dites-lui, déclara-t-il à son secrétaire, qui venait d’entrer et de lui remettre une carte, — dites-lui que ce sera comme j’ai dit ! s’il a le moyen, c’est bien ; sinon, rien de fait !

— Mais il prétend qu’il ne peut pas accepter vos conditions !

— Alors, rien de fait ! — répliqua Faïnitzin ; et son visage, de joyeux et aimable qu’il était, devint, pour un moment, sombre et malveillant.

— On dit que les avocats gagnent de l’argent sans rien faire ! — reprit-il en se tournant de nouveau vers Nekhludov avec un sourire empressé. — Imaginez-vous que je suis parvenu à tirer un débiteur malhonnête d’un procès qu’il avait toutes les chances de perdre, et voilà que maintenant tous ses pareils s’adressent à moi ! Et si