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RÉSURRECTION

Agrippine Pétrovna avait, à diverses reprises, fait de longs séjours à l’étranger avec la mère de Nekhludov : elle avait la tenue et les manières d’une dame. Elle demeurait dans la maison des Nekhludov depuis l’enfance, et avait connu Dimitri Ivanovitch quand il n’était encore que « Mitenka ».

— Bonjour, Dimitri Ivanovitch !

— Bonjour, Agrippine Pétrovna ! Qu’y a-t-il ? — demanda Nekhludov.

— C’est une lettre pour vous. La femme de chambre des Korchaguine l’a apportée depuis longtemps déjà : elle attend chez moi, — dit Agrippine Pétrovna, tendant une lettre, et souriant d’un sourire significatif.

— C’est bien, tout de suite ! — dit Nekhludov en prenant la lettre. Mais il vit le sourire d’Agrippine Pétrovna, et se rembrunit.

Le sourire d’Agrippine Pétrovna signifiait qu’elle savait que la lettre venait de la jeune princesse Korchaguine, avec laquelle Agrippine Pétrovna supposait que son maître allait se marier. Or cette supposition déplaisait à Nekhludov.

— Dites à la femme de chambre d’attendre encore !

Et Agrippine se poussa hors de la chambre, non sans avoir d’abord saisi une brosse de table qu’on avait déplacée, et qu’elle remit à la place où elle devait être.

Nekhludov décacheta l’enveloppe parfumée que venait de lui donner Agrippine Pétrovna, et ouvrit la lettre, écrite sur un épais papier gris, avec des lignes inégales, d’une écriture anglaise aux lettres pointues :


« Remplissant la charge que j’ai prise sur moi d’être votre mémoire, lut-il dans cette lettre, je vous rappelle que, aujourd’hui, le 28 avril, vous devez faire partie du jury à la cour d’assises, et que, par conséquent, il vous sera tout à fait impossible d’aller avec nous et Kolossov voir la galerie des Z…, comme vous nous l’aviez promis hier avec votre légèreté habituelle, à moins que vous ne soyez disposé à payer à la cour d’assises les 300 roubles que vous vous refusez pour votre cheval.