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RÉSURRECTION

doit être au bureau. Il vous dira ce qui en est… Comment vous appelez-vous ?

— Je vous remercie beaucoup, — dit Nekhludov sans répondre à sa question.

Et il redescendit l’escalier, tandis que retentissaient de nouveau derrière lui les sons bruyants de la Rapsodie, aussi peu en harmonie avec le lieu où ils se faisaient entendre qu’avec l’aspect pitoyable de la créature qui les produisait.

Dans la cour, Nekhludov rencontra un jeune officier aux moustaches en croc et lui demanda où il pourrait trouver le sous-directeur. Ce jeune officier était précisément le sous-directeur. Il prit le permis, y jeta les yeux, et déclara que, le permis ne faisant mention que de la maison de détention préventive, il ne pouvait prendre sur lui de le considérer comme valable pour la prison du gouvernement. De toute façon, au reste, l’heure était trop avancée : l’appel du soir avait déjà été fait.

— Revenez demain ! C’est demain dimanche : dès dix heures du matin, tout le monde est admis à faire visite aux détenus. Le directeur sera là. Vous pourrez voir la femme Maslov dans le parloir des femmes, ou peut-être, si le directeur y consent, dans le bureau.

Déçu ainsi de son espérance de voir Katucha ce jour-là, Nekhludov reprit le chemin de sa maison. Tout frémissant d’émotion, il courait le long des rues ; et sans cesse lui revenaient en mémoire des détails de sa journée. Il se répétait qu’il avait cherché à revoir Katucha, qu’il l’avait demandée dans deux prisons, qu’il avait parlé au procureur de son projet de s’humilier devant elle. Et le sentiment d’avoir fait tout cela redoublait encore son exaltation.

En rentrant chez lui, il alla aussitôt prendre dans un tiroir le cahier où, autrefois, il écrivait le journal de ses actes et de ses pensées. Il en relut quelques passages, et, fiévreusement, il y ajouta les lignes suivantes :

« Il y a deux ans déjà que je n’ai plus rien écrit dans ce cahier, et je croyais bien que jamais plus je ne me livrerais à cet enfantillage. Mais en réalité ce n’était nul-