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RÉSURRECTION

hommes du monde, avec des militaires, des fonctionnaires, des étudiants, des collégiens, avec des gens de toutes les conditions, de tous les âges, et de tous les caractères. Et des cris et des moqueries, et des rires et de la musique, et du tabac et du vin, et du vin et du tabac, et de la musique depuis le soir jusqu’à l’aube. Et, le matin seulement, la liberté et le lourd sommeil. Et de même tous les jours, d’un bout à l’autre de la semaine. Et à la fin de chaque semaine, la visite légale, au bureau de police  : une vraie loterie, où les fonctionnaires et médecins présents au bureau tantôt se montrent sérieux et sévères, tantôt s’amusent joyeusement à humilier ce sens de la pudeur donné par la nature, comme une sauvegarde, non seulement à l’espèce humaine mais aux bêtes elles-mêmes. On passe en revue les femmes, après quoi on leur donne une patente les autorisant à poursuivre la même vie pendant la semaine qui suit. Et de nouveau la même vie, pendant cette semaine. Et cela indéfiniment, en hiver comme en été, les jours de grandes fêtes comme les jours ouvrables.

La Maslova vécut cette vie durant plus de six ans. Deux fois elle changea de maison, et une fois elle dut faire un séjour à l’hôpital. La septième année, — elle avait alors vingt-six ans, — se produisit l’événement qui lui valut d’être arrêtée, et qui lui valait maintenant d’être menée devant la cour d’assises, après un emprisonnement préventif de plusieurs mois en compagnie de créatures ayant pour métier le vol et l’assassinat.