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hommes qui leur étaient étrangers. Ce spectacle, je le répète, était navrant à cause de la misère, de la saleté, des nudités étalées et des regards effarés de ces pauvres gens. Ce qui m’effrayait le plus, c’était le nombre de gens qui étaient dans cet état. Ces repaires n’en finissaient pas ; après l’un, l’autre. Et partout la même exiguïté, la même chaleur suffocante, la même promiscuité de gens, les mêmes hommes et femmes, ivres jusqu’à la perte de toute connaissance ; la même épouvante, l’humiliation et la soumission à la destinée, se lisaient sur tous les visages.

J’éprouvai la même honte, la même douleur qu’à l’asile Liapine, et je compris bien alors que ce que j’avais entrepris était mauvais, bête, et, par cela même, impraticable. Je ne demandai plus leurs noms à tous ces pauvres gens ; je n’interrogeai personne, sachant que cela ne servirait à rien.

Cela me fit beaucoup de peine. Dans la maison Liapine, j’étais dans la situation d’un homme qui a vu par hasard une plaie béante sur le corps d’un autre homme. Il le plaint et a honte de ne pas l’avoir plaint auparavant. Il a encore l’espoir de guérir le malade. Mais, à présent,