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inscrites sur mon carnet, qui me semblaient les plus dignes de pitié et de secours. Comme je l’ai déjà dit, je ne pus secourir personne. C’était chose plus difficile que je ne l’avais cru de prime abord. Etait-ce parce que je ne savais pas comment m’y prendre, ou parce que c’était impossible ? Je ne faisais donc qu’importuner ces pauvres gens sans les secourir.

Je me rendis plusieurs fois à la maison de Rjanof avant la fin du recensement, et, chaque fois, j’assistai à la même scène : une foule de solliciteurs m’obsédait, et je me sentais comme perdu au milieu d’eux. Je voyais bien qu’il m’était impossible de faire quelque chose pour eux, vu leur nombre ; peut-être aussi éprouvai-je à leur égard un sentiment de malveillance, parce qu’ils étaient trop nombreux. En outre il n’y en avait point qui pût m’inspirer de la sympathie : je sentais qu’aucun d’eux ne me disait la vérité et qu’ils me regardaient comme une vache bonne à traire. Bien souvent, il me semblait que chacun, après m’avoir extorqué de l’argent, devenait pire. Plus je visitais ces asiles, plus j’entrais en relations avec leurs habitants, plus aussi je me rendais compte qu’il n’y a pas moyen de rémédier a leur situation. Je n’aban-