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pouvais comprendre comment on pouvait défendre à un homme de demander quelque chose à un autre, et, en outre, je ne voulais pas croire qu’il fût défendu de mendier, alors que Moscou est pleine de mendiants. J’entrai au poste où l’on avait mené le mendiant. Un homme avec un sabre et un pistolet était assis là, devant une table. Je demandai : « Pourquoi a-t-on arrêté ce moujik ? » L’homme au sabre et au pistolet me dévisagea sévèrement et me dit : « Qu’est-ce que cela vous fait ? » Cependant, jugeant nécessaire de me donner quelques explications, il ajouta : « Le gouvernement ordonne de saisir ces gens-là, il faut croire que c’est nécessaire. » Je me retirai. Dans le vestibule, l’agent qui avait amené le mendiant, assis près de la fenêtre, regardait tristement un carnet. Je lui demandai : « Est-ce vrai que l’on défend aux mendiants de demander au nom du Christ ? » L’agent se réveilla, me regarda, puis, sans sortir de sa torpeur, ou comme s’il se rendormait, il me dit en s’asseyant de nouveau sur l’appui de la fenêtre : « Le gouvernement l’ordonne, c’est donc qu’il le faut », et il se replongea dans son occupation. Je descendis dans la rue du côté de mon fiacre.