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et avec brusquerie, sans la regarder, comme on parle à un chien : « Pourquoi babilles-tu sans réflexion » ? « — Je passe mon temps au caboulot ». — Si tu y passes ton temps, dis donc ce qu’il faut dire, « prostituée », — répétant ce mot encore une fois. — Tiens, elle ne sait même pas son nom ».

Ce ton me blessa. — « Nous n’avons pas le droit de lui faire honte, — dis-je ; si nous vivions comme il plaît à Dieu, il n’y aurait pas de prostituées. »

— Oui, cela est vrai, — dit le maître avec un sourire forcé.

— Ainsi nous ne devons pas leur adresser de reproches ; il faut les plaindre au contraire. Sont-elles réellement coupables ?…

Je ne me rappelle plus précisément en quels termes je dis cela, mais je me souviens que je fus révolté par le ton méprisant de ce maître d’un logement plein de ces femmes qu’il appelait prostituées ; tandis que j’éprouvais de la pitié pour cette femme, et que j’exprimai mon indignation et ma pitié. À peine avais-je dit cela que, dans la chambre où j’avais entendu les rires, les planches des lits craquèrent et, au-dessus de la cloison qui n’atteignait pas le plafond, se montra