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de ces hommes sur sa vie, il se mettait à me raconter non seulement avec plaisir, mais encore avec feu, l’histoire, apprise par cœur comme une prière, des malheurs qui l’avaient accablé et qui provenaient de ce qu’il n’occupait pas le rang que lui assignait son éducation.

Ces gens-là, pour la plupart, sont dispersés dans tous les coins de la maison de Rjanof. Un logement était exclusivement occupé par eux, hommes et femmes. Dès que nous arrivâmes, Ivan Fedotitch nous dit : « Eh bien, vous voici dans le logement des nobles. » Le logement était tout plein : presque tous, une quarantaine d’hommes, étaient chez eux. Il n’était pas, dans toute la maison, de gens plus déchus, plus malheureux, plus vieux et plus jeunes, plus pâles, plus pervers. J’adressai la parole à quelques-uns. Presque toujours c’était la même histoire, mais plus ou moins développée. Chacun d’eux avait été riche, ou bien il avait son père, sa mère, son frère ou son oncle, qui étaient ou qui sont encore aujourd’hui riches, ou enfin son père ou lui-même avait une position excellente. Puis était arrivé un malheur causé par des envieux, par son excessive bonté ou par un événement imprévu, et maintenant, il