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ou les cercles. Je ne pouvais m’empêcher de voir, à côté de tout cela, les habitants de la maison Liapine torturés par la faim, le froid et la honte. Il m’était impossible de me défaire de l’idée que ces deux choses se liaient et que l’une était la conséquence de l’autre.

Je me souviens que ce sentiment resta en moi sans aucune modification, tel qu’il s’était manifesté de prime abord. Mais un autre vint s’y mêler et le relégua au second plan.

Quand j’entretenais mes amis intimes et les personnes qui m’étaient connues de l’impression que j’avais éprouvée à la maison Liapine, tous me répondaient de la même façon que le premier ami avec qui j’avais montré tant de violence ; ils approuvaient toutefois ma bonté et ma sensibilité. Ils me laissaient entrevoir que ce spectacle n’avait produit sur moi une telle impression que, parce que moi, Léon Nicolaievitch, j’étais un très bon et très brave homme. — Et je crus cela volontiers. — En un instant, le sentiment de reproche et de remords que j’avais d’abord éprouvé, fut remplacé dans mon âme par un autre sentiment. J’étais satisfait de ma vertu et je désirais en faire montre aux yeux des autres.