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ce qui se passait. Il paraît que, sans m’en rendre compte, je criais à mon ami, avec des larmes dans la voix et en agitent les bras, je criais : « On ne peut pas vivre ainsi, c’est impossible, on ne peut vivre ainsi. »

Je fus sermonné pour mon emportement inutile. On me dit que je ne savais pas discuter avec calme, que je m’irritais d’une façon inconvenante, et ce qui est plus grave, on me prouva que l’existence de ces malheureux ne pouvait être une raison pour empoisonner la vie de mes proches.

Je compris que cela était très juste et je me tus ; mais intérieurement je sentais que, moi aussi, j’avais raison, et je n’arrivais pas à me calmer.

La vie des villes, qui jusque-là, m’avait été étrangère et me semblait bizarre, me devint alors si odieuse que toutes ces joies de la vie de luxe, qui, autrefois, me semblaient telles, se changèrent pour moi en tourments. J’avais beau chercher en mon âme une raison quelconque pour disculper notre vie, je ne pouvais voir sans irritation mon salon ou celui des autres, une table somptueusement servie, une voiture ou un bel attelage, les magasins, les théâtres