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-intervention, je venais d’approuver cet acte et d’y participer.

De même, ici, à la vue de cette faim, de ce froid et de cette humiliation de milliers d’hommes, je compris non par l’esprit, non par le cœur, mais par tout mon être, que l’existence à Moscou de ces gens par dizaines de milliers est aussi un crime, quand moi et les autres milliers, pendant ce temps, nous nous rassasions de filets et d’esturgeons et recouvrons nos parquets et nos chevaux de draps et de tapis. Quoi que puissent dire les savants du monde entier sur la nécessité d’un tel ordre de choses, cela était un attentat sans cesse commis et répété, et moi, dans mon luxe, j’étais coupable non seulement de complaisance, mais encore de complicité. À mon point de vue, il n’y avait qu’une différence entre ces deux impressions. Tout ce que je pouvais faire était de crier aux assassins qui se tenaient près de la guillotine et commandaient l’assassinat, qu’ils agissaient mal et de faire tous mes efforts pour les empêcher. Mais j’étais certain qu’en agissant ainsi je n’empêcherais pas l’assassinat. Ici au contraire je pouvais donner non-seulement du sbitiène et la modique somme que j’avais