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regardaient et me suppliaient ; et l’expression de souffrance, d’anxiété et d’humilité peinte sur leur visage était poignante à voir. Je leur donnai tout ce que j’avais sur moi : la somme n’était pas grande, environ vingt roubles, et j’entrai avec la foule dans l’asile.

L’asile de nuit est immense. Il se compose de quatre sections : les étages supérieurs occupés par les hommes ; le rez de chaussée par les femmes. J’entrai d’abord dans la section des femmes. C’était une vaste pièce occupée tout entière par des couchettes ressemblant à celles des wagons de troisième classe et disposées en deux étages, l’un au-dessus de l’autre. Les femmes à l’aspect étrange, les vêtements en loques, les unes jeunes, les autres vieilles, entraient et occupaient les places libres, tantôt en bas, tantôt en haut. Parmi les vieilles, quelques-unes se signaient et faisaient des vœux pour le fondateur de l’asile ; les autres riaient et s’injuriaient. Je montai à l’étage supérieur. Les hommes y étaient logés de la même manière ; parmi eux je reconnus un de ceux à qui j’avais donné de l’argent. En le voyant, je me sentis tout à coup si honteux que je m’empressai de partir. C’est avec la conscience d’avoir commis un crime que je sortis de